Le saut de la truite.
Il y a très longtemps, débutant à la pêche à la mouche fouettée, las de pêcher
dans les grandes rivières, connaissant un torrent très poissonneux et très difficile d’accès j’ai voulu un jour essayer de le remonter en pêchant à la mouche.
C’est un torrent, prenant sa source au col de Tamié au dessus de Faverges, vers le col, il coule gentiment au bord de la route et d’un seul coup est précipité dans des gorges assez abruptes et sauvages. Sa fréquentation est difficile, pour l’avoir pratiqué longtemps à la pêche au coup, je connais tous les passages et les chemins pour y accéder grâce à un gars du pays, Jean Claude C—–x, qui me l’a fait connaitre, c’est avec lui que j’ai appris le meilleur moyen d’attaquer les coups pour le pêcher.
Je le définis en trois parcours, le premier en commençant en bas au petit hameau du Villaret , il se pratique sur la moitié dans des gorges, ensuite étant infranchissable, il faut en sortir par un passage vertigineux et difficile sur la gauche, et remonter dans une prairie pour redescendre vers le ruisseau plus haut.
Le deuxième parcours est court, une demie douzaine de gouilles pas plus, mais de vrais viviers à truites, ensuite pour faire la troisième portion, il faut remonter sur le viaduc qui enjambe le cours d’eau et le chemin se trouve sur la rive gauche facile d’accès,qui conduit à une vieille scierie actionnée par la force de l’eau, avec bief etc …
Parfois je pêche les trois parcours, le dernier presque au col, n’est pas intéressant étant peuplé de petites truites, mais le plaisir d’aller discuter avec le scieur vaut l’effort de le pêcher.
Ce matin là, par une belle journée du mois de juin, garant ma voiture au Villaret sur le pont enjambant le Saint Ruph, (le torrent descendant du col d’Orgeval) où le ruisseau du Tamié se jette, je regarde l’eau, ni trop grosse, ni trop basse, parfait !!!
Dument équipé pour pêcher, je traverse le pont tout de suite à gauche, je descends au bord du saint Ruph, avec ma petite canne de 8 pieds soie décalée de 4 à 5, bas de ligne de 16/100.
A mes débuts à la mouche fouettée, je pratique une pêche mixte , noyée(en mouillant mon artificielle avec ma salive) et sèche suivant la situation, je lance une altière sur hameçon de 12 de ma composition dans le courant du ruisseau de Tamiè, juste en face de moi, au premier passage, je ferre un poisson que j’amène vers moi et que je fais sauter rapidement sur une petite plage, n’ayant pas d’épuisette, c’est une fario de 24 cm, je persiste dans le petit estuaire un coup à droite, rien? un coup à gauche, un » marsouinage », je ferre, loupé!!! j’attends un moment, je persiste au même endroit, cette fois- ci elle est accrochée, 26 cm, que j’enveloppe dans un linge en compagnie de la première, après l’avoir tuée.
Maintenant je remonte le chemin, longeant le torrent, je rentre dans l’eau devant un vieux pont de pierre, peut être l’ancienne route?… dessous j’accroche une petite truite que je relâche avec précaution, je continue ma progression, je traverse sur la gauche la petite passerelle enjambant le ruisseau de Frontenex qui grossit mon torrent, que je néglige car je veux pêcher dans le Tamié.
Je rentre dans les gorges, c’est une succession de prises non maillées, et j’arrive à ma première cascade, très profonde et bien encombrée, je balance ma mouche au dessus, elle descend dans la chute, je laisse couler en levant haut ma canne, le bouillonnement entraine ma mouche en profondeur, mon bas de ligne tourne avec l’eau, arrêt soudain du fil, je relève d’un coup sec, je sens une résistance assez vive, une grosse est accrochée, je la bride immédiatement pour l’empêcher de se réfugier sous la cascade, aidé du courant je la fais dévaler une dizaine de mètres en marchant en hâte au bord, pour l’échouer enfin sur une petite plage, prestement je la saisis, la tue rapidement. C’est une belle fario de 35 cm. toute noire avec des points rouge vif.
Je continue ma remontée dans le torrent, je passe par dessus la cascade sur le coté dans un chemin surplombant l’eau et je descends sur un ligne droite d’une cinquantaine de mètres que je remonte dans le lit, où les coups ne sont pas poissonneux.
J’arrive enfin devant une gouille intéressante, au toc j’ai toujours fait des poissons et comme j’ai la place dans le lit de la rivière, je lance ma mouche à 15 mètres sur le plat, fin de gouille, la présentation est parfaite, une montée , un léger ferrage et je sors une belle de 24cm, que je fais sauter au sec derrière un rocher a fleur d’eau. » C’est ma veine, elles sont dehors!!! »
Après le passage aérien de quelques cascades, de gorges profondes , et la prise encore de deux truites, j’arrive au terme du premier parcours, là c’est le beau site de pêche que je connais, un étroit goulet au dessus (infranchissable) avec un gros débit dans une énorme gouille avec des possibilités multiples d’attraper du poisson, petits courants à ras des rochers, trous profonds, et petits raidiers(1) très intéressants, je commence par les raidiers.
e caresse, avec ma mouche la surface de l’eau, c’est une habitude qui me vient de mon cousin bon moucheur, il faut éveiller l’attention de la truite, celle-ci voit une agitation au dessus et croit à un insecte virevoltant en surface, je continue mon manège. Tout à coup, dans un léger bruissement jaillit hors de l’eau une belle fario qui d’un bond vertical de prés d’ un mètre, la bouche ouverte essaie d’attraper mon imitation, elle loupe sa cible, mais de peu ? et retombe bruyamment dans son élément.
J’arrête de fouetter, je suis perplexe et abasourdi… et je me dis » comment un poisson peut calculer le passage d’un insecte volant par intermittence au dessus de lui? et quel saut !!!
J’attends un peu, je recommence mon manège et je pose ma mouche au dessus elle flotte bien et je la vois distinctement dans la pénombre de la gorge où le soleil pointe timidement, je suis ma mouche d’un regard attentif, un éclair sous l’eau venant sur le coté, un entonnoir, je ferre et voila ma belle tacheté accrochée, aidée du courant, elle dévale, je l’échoue sur une petite plage de graviers entre de petits rochers, belle pièce de 38 cm, bien costaude (la plus grosse prise de ma part dans ce ruisseau).
Je continue de pêcher dans ma « gouille » je prends encore deux truites maillées, et je décide de rentrer. Je retrouve le passage un peu plus bas pour sortir du défilé, dix minutes après, je débouche sur une prairie que je descends rapidement pour retrouver ma voiture au Villaret.
Avant de ranger mon matériel dans le coffre de mon véhicule, je donne un dernier coup de « mouche » vers le pont, j’attrape ma dernière » mouchetée »
Je plie rapidement mon matériel , je regarde mes prises, et je rentre à la maison. Depuis cette partie de pêche, j’ai « écumé » les ruisseaux de la région à la mouche fouettée, avec bonheur mais au fil des années les prises ont diminué, et comme beaucoup de pêcheurs j’ai déserté les ruisseaux pour les grandes rivières moins touchées par le manque d’eau et la pollution.
Ce ruisseau de Tamié, reste dans mon coeur un souvenir inoubliable, le saut de la truite, je revois le parcours dans tous ses détails, c’est vrai qu’il y a plus quarante ans que ça s’est passé!!! Mais ça reste gravé dans ma mémoire.
(1)Partie d’eau peu profonde qui coule rapidement.
Lionel Arnaud